Puisque nous n’avons pas d’indications historiques que les Romains accordèrent les mêmes privilèges aux Gentils Chrétiens concernant le Sabbat, ceci ne pourrait-il pas avoir rendu difficile pour eux l’observance du Sabbat?

Le gouvernement Romain avait reconnu le Judaïsme comme une religion légale (religio lecita). Cette reconnaissance légale permettait aux Juifs de pratiquer librement leur religion et même d’être dispensés des devoirs civils le Sabbat. Puisque nous n’avons pas d’indications historiques que les Romains accordèrent les mêmes privilèges aux Gentils Chrétiens concernant le Sabbat, ceci ne pourrait-il pas avoir rendu difficile pour eux l’observance du Sabbat? N’est ce pas l’absence de référence aux problèmes rencontrés  par les Gentils dans l’observation du Sabbat, une forte indication qu’ils ne l’observaient pas?

Réponse

Cette question ignore trois faits importants, lesquels j’ai discutés ailleurs, et que je résumerai sommairement ici.[1]

Samedi (jour de saturne): premier jour.

D’abord, dans le premier siècle AD, le samedi (jour de saturne) était le premier jour du système planétaire Romain hebdomadaire, comme c’est attesté par plusieurs hommes de lettres et évidences archéologiques. Samedi, ce qui est le jour de saturne (dies saturni) était suivi par Dimanche, ce qui est, le jour du soleil (dies solis). La priorité du jour de saturne sur le jour du soleil continua jusqu’à peu près le milieu du deuxième siècle, quand la primauté et le prestige du jour de saturne fut remplacé par le jour du soleil.

Ce n’est pas très clair comment les Romains observaient le jour de saturne dans le premier siècle. Certains textes indiquent qu’il était regardé comme un jour néfaste (de malchance) (dies nefastus) pour faire les affaires. Tibulle (environ 30 ans av. J.-C.) par exemple, explique qu’il pouvait avoir justifié son séjour à Rome avec sa bien-aimée Delia, le jour de saturne, en indiquant que « le jour sacré de saturne le retenait là ».[2] De même, Sextus Propertius, un contemporain de Tibulle, parle du « signe de saturne qui apporte du malheur à chacun et à tous ».[3]

De tels textes comme ceux-ci suggèrent que dans le premier siècle, le jour de saturne fût le jour sur lequel les Romains limitaient leurs activités d’une vénération superstitieuse pour le dieu saturne. La vénération superstitieuse du dieu saturne aurait manifestement facilité l’observance du Sabbat pour les Gentils Chrétiens.

L’influence du Sabbat juif.

Une seconde importante considération, étroitement rattachée à la première, est l’influence largement répandue de la coutume du Sabbat juif dans le monde Romain. En fait, il est généralement reconnu que ce fut la popularité de la semaine de sept jours, avec son Sabbat, qu’influença les Romains, juste avant le commencement du christianisme, d’adopter la semaine planétaire de sept jours, au lieu de leur semaine de huit jours (nundinum).

Le philosophe stoïque Seneca, se lamente que « les coutumes de cette maudite nation [juive] ont gagné une telle influence, qu’elles sont maintenant reçues partout dans le monde. Les vaincus ont donné des lois à leurs vainqueurs… la plus grande partie du peuple [non juif] participe dans un rituel, ne sachant pas pourquoi ils faisaient ainsi ».[4]

Le témoignage de Seneca est confirmé par l’historien juif  Flavius Josèphe, quand il écrit: « Il n’y a pas un Grec ou barbare, ni une seule nation à qui notre coutume de s’abstenir de travailler le septième jour, ne s’est propagée, et où les jeûnes et l’allumage de lumières et plusieurs de nos interdictions concernant la question d’aliments, ne sont observées.[5]

L’apologiste chrétien Tertullien confirme l’adoption générale par Rome du Sabbat juif, en temps d’aise et « de luxe ». Répondant à la charge païenne que les Chrétiens avaient adopté l’adoration du soleil, parce qu’ils observaient le jour du soleil, Tertullien écrit: « Nous avons certaines ressemblances à ceux de vous qui consacrent le jour de saturne pour l’aise et le luxe, bien qu’ils n’ailles pas trop loin du sens juif, et qui en réalité sont vraiment ignorants ».[6]

Willy Rordorff très justement signale que les coutumes juives du Sabbat étaient répandues dans l’empire Romain. Ce fait offre une plausible explication pour l’origine du jour de saturne par association avec le Sabbat juif. Les croyances superstitieuses et astrologiques, apparemment, vinrent à être associées avec les coutumes juives dans l’observation du Sabbat, particulièrement puisque plusieurs Romains qui adoptèrent de telles coutumes, ne furent pas conscients de leur origine juive.[7]

L’influence répandue dans l’empire Romain des coutumes du Sabbat juif, semble indirectement avoir contribué aux superstitions concernant le jour de saturne, comme un jour de l’aise « et de luxe », auraient facilité l’observation du Sabbat par les Gentils Chrétiens.

Gentils craignants de Dieu.

Une troisième importante considération souvent ignorée, est que beaucoup, sinon pas la plupart des Gentils dont on parle dans le Nouveau Testament, étaient des craignants de Dieu, qui avaient été instruits dans la foi juive (Ac 10:2; 13:42-44; 14:1; Ga 5:2). Ceci explique pourquoi plusieurs d’entre eux désiraient être « sous la loi » (Ga 5:18) en adoptant de telles pratiques comme la circoncision (Ga 5:2). Quand la proclamation de l’Evangile atteignit au-delà des Gentils craignants de Dieu, jusqu’aux païens non touchés par le judaïsme, de nouveau problèmes surgirent. Le gnosticisme et le docétisme devinrent des problèmes plus importants que le légalisme.

Les Chrétiens qui avaient été Gentils craignants de Dieu, auraient profité de la protection légale Romaine, accordée aux Juifs, laquelle comprenait la liberté d’observer le Sabbat. De plus, il est généralement reconnu que les Chrétiens, soit de race juive ou gentille, étaient, au début, vus par les Romains comme un genre de secte juif. Ainsi, ils profitèrent de la même liberté religieuse, accordée aux Juifs.

Problèmes avec n’importe quel jour.

Une quatrième et dernière considération est que les Gentils Chrétiens auraient affronté des problèmes dans l’observance de n’importe quel jour. Considérant la longueur des premières assemblées chrétiennes, et le temps nécessaire pour voyager et pour assister à de telles assemblées, il est facile d’imaginer comment cela engouffrerait la plupart d’une journée. Ceci signifie que les Chrétiens qui étaient travailleurs dépendants, auraient rencontré des problèmes avec leurs employeurs, quel que soit le jour de la semaine qu’ils auraient assisté aux services religieux. Le fait que le Nouveau Testament ne donne pas de références pour de tels problèmes, peut à peine être interprété comme preuve que les Chrétiens ne faisaient pas leurs dévotions et ne se reposaient pas n’importe quel jour, puisquíl est souvent mentionné que les Chrétiens se rassemblaient pour faire leurs dévotions (Ac 13:14, 42, 44; 14:1; 16:13; 18:4; Hé 10:25).

Le silence du Nouveau Testament sur ce sujet, suggère que le problème de l’observation du Sabbat dût avoir été un problème limité, parce que le samedi (jour de saturne), comme nous l’avons vu, était un jour d’activité limité pour les Romains, et parce que probablement beaucoup de Chrétiens, comme aujourd’hui, furent capables de faire le nécessaire pour obtenir leur Sabbat libre.


[1] Ma discussion se trouve dans Du Sabbat au Dimanche, traduction française de Dominique Sébire (P. Lethielleux, Paris 1984) pp. 199-206.

[2] Tibulle, Carmina 1, 3, 15-18.

[3] Sextus Propertius, Elegies 4, 1, 81-86.

[4] Cité par Augustin dans De Civitate Dei 6, 11.

[5] Flavius Josèphe, Contre Apion 2, 40. Une déclaration similaire se trouve dans Philon, Vita Mosis 2, 20.

[6] Tertullien, Apology 16, The Ante-Nicene Fathers (Grand Rapids, 1973), vol. 3, p. 31.

[7] Willy Rordorf, Sunday, The History of the Day of Rest and Worship in the Earliest Centuries of the Christian Church (Philadelphia, 1968), pp. 29-34.

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