Roger Williams et la liberté religieuse

Sa petite république devint l'admiration du monde et l'abri des persécutés de toutes sectes.

C’est une exécrable hérésie de vouloir attirer par la force, par les coups, par les emprisonnements, ceux qu’on n’a pu convaincre par la raison. (ATHANASE)

La vie de Roger Williams est de celles dont s’honore l’Humanité. Quelle hauteur d’âme, quelle noblesse de conscience n’a-t-il pas fallu à certains hommes pour imposer aux époques les plus intolérantes ces notions qui sont les fondements des Sociétés démocratiques d’aujourd’hui.
Le prestigieux écrivain qu’est André Maurois nous évoque en quelques pages dignes de son grand talent cette belle figure qui mérite d’être mieux connue.

De toutes les libertés civiques, la liberté religieuse est l’une des plus nécessaires; rien de plus pénible pour l’homme qu’une foi imposée par la force; rien ne peut être plus tyrannique que des croyants lorsqu’ils croient contraindre au nom de Dieu.

Les Etats-Unis jouissent aujourd’hui, et ont été parmi les premiers à jouir d’une liberté de conscience totale, mais il aurait fort bien pu en être autrement.

Un Etat où l’autorité serait religieuse

Les Puritains qui fondèrent la colonie du Massachusetts, destinée à une si grande prospérité, étaient loin d’être tolérants. Ils étaient aristocrates et théocrates ; ils entendaient fonder un Etat autoritaire où l’autorité serait religieuse. Ils admettaient, et même souhaitaient, que les ministres du culte fussent aussi les chefs de l’Etat.

Ils avaient quitté l’Angleterre pour fonder une sainte communauté, où il leur fût permis de prier comme ils l’entendaient; mais ils n’avaient nul désir d’accorder cette liberté à d’autres sectes.

D’où une. tyrannie spirituelle dont les aspects temporels étaient assez durs. Les ministres puritains formaient une oligarchie à laquelle l’autorité de la Bible donnait une grande puissance. Ils n’accordaient le droit de participer aux délibérations politiques qu’aux membres de l’Eglise. Au fond ils avaient substitué à l’aristocratie terrienne, qui gouvernait l’Angleterre, une oligarchie de théologiens. Cela ne plaisait pas aux esprits libres, dont plus d’un ‘pensait que pouvoir civil et pouvoir religieux doivent être absolument Séparés, que les autorités civiles n’ont aucune autorité sur des consciences, et qu’un pouvoir civil ne doit s’occuper que d’affaires. civiles.

Roger Williams, un esprit libre

Parmi ces dissidents, nul n’était plus convaincu et nul n’exerça une action plus durable que Roger Williams. C’était un jeune Anglais qui avait été, à la Chambre Etoilée, secrétaire du grand juriste Sir Edward Coke. Celui-ci avait contribué à lui inspirer le respect de la justice et de la liberté, mais Williams avait aussi subi l’influence des Baptistes, qui étaient hostiles à toute persécution des minorités religieuses.

«Aucun homme», écrivait l’un d’eux en 1615, «ne devrait être persécuté pour sa religion, qu’elle soit vraie ou fausse, pourvu qu’il se déclare loyal envers son Roi».

Roger Williams à Boston

Roger Williams vint à Boston en 1631, parce qu’il était persécuté par Laud, archevêque de Canterbury, pour ses convictions puritaines. Il y trouva ses frères Puritains, installés à Boston et Salem depuis un an, et fut reçu à bras ouverts. On lui proposa de remplacer un pasteur qui repartait pour l’Angleterre. Mais lorsqu’il découvrit que l’Eglise de Boston n’était pas encore séparée de l’Eglise d’Angleterre, et que ses chefs souhaitaient donner aux magistrats civils le droit de punir les offenses contre les quatre premiers commandements (c’est-à-dire contre la religion),

il déclara que le pouvoir civil n’avait aucun droit en matière de conscience, ce qui frappa de stupeur les Puritains de la Nouvelle-Angleterre pour qui la Bible était un code, et même le seul.

L’Eglise de Salem, qui tenait à son Indépendance, saisit cette occasion de donner une leçon à celle de Boston et appela chez elle le jeune pasteur. Celui-ci enseigna que tous les hommes, étant enfants de Dieu, sont égaux et frères; qu’une charte royale ne donnait aucun droit sur des terres qui appartenaient en réalité aux Indiens; que l’Eglise et l’Etat devaient être séparés, que limiter le droit de vote, en matière civile, aux membres de l’Eglise serait comme choisir un médecin pour ses convictions religieuses, et enfin que toute persécution pour raison de conscience « est évidemment et lamentablement contraire à la doctrine de Jésus-Christ». En somme il rompait avec la doctrine des Puritains de Boston et se rapprochait de celle des Frères de Plymouth, bien plus tolérants. Banni une première fois par Salem, il alla à Plymouth, y évangélisa les Indiens et se fit parmi eux beaucoup d’amis.

Roger William fonde l’Etat de Rhode Island

Rappelé à Salem, il fut définitivement banni du Massachusetts par un arrêt de la General Court, parce qu’il refusait de prêter un serment d’allégeance qui sanctionnait le droit des magistrats à faire respecter par la force les quatre premiers commandements. En principe un banni devait retourner en Angleterre, mais Williams choisit d’aller plutôt dans les territoires encore sauvages qui se trouvaient au sud de la colonie de Plymouth et d ‘y fonder lui-même une colonie. Ce fut là qu’il créa la ville de Providence, et peu à peu l’Etat de Rhode Island.

Le nom de Providence était un remerciement à Dieu pour le secours reçu dans la détresse. Ainsi un acte d’intolérance, le bannissement de Williams, devint la source aux Etats-Unis de toute tolérance.

Car le nouvel Etat accordait pleine et entière liberté à chacun de croire ce qu’il voulait, et même de ne pas croire, de sorte que toutes les consciences inquiètes y accoururent. Bientôt la population devint si nombreuse que le gouvernement du Massachusetts craignit la vengeance de Williams et lui offrit une place au Conseil du Massachusetts. Naturellement Williams refusa. L’indépendance de Rhode Island était la clef des libertés spirituelles, mais il ne combattit jamais le Massachusetts, rendit le bien pour le mal, et même intervint pour établir une paix entre les Indiens et la colonie de Massachusetts Bay.

Jamais il ne transigea sur les principes. Dans sa colonie, nul ne pouvait être privé d’un emploi ou inéligible à cause de ses convictions religieuses. Sa petite république devint l’admiration du monde et l’abri des persécutés de toutes sectes.
Contrairement à ce qui se passait à Boston, chacun y était libre d’aller ou de ne pas aller à l’église le dimanche, de ne pas payer de taxes pour l’entretien de l’église, de se marier comme il l ‘entendait.

Une influence capitale sur l’avenir des Etats-Unis

Roger Williams voulait que sa petite communauté devint un modèle pour tous les autres gouvernements. Il en fut ainsi. Soutenu par son ami Sir Henry Vane, il obtint en 1662 une charte royale qui, après la guerre d’Indépendance, fit de Rhode Island l’un des Ëtats de la nouvelle république. Bien que cet Etat fût petit par la superficie, il exerça une influence capitale sur l’avenir des Etats-Unis et sur celui de la liberté de conscience, car ce fut la fermeté de Rhode Island qui imposa l’adjonction à la Constitution américaine d’un Bill of Rights, qui assurait la tolérance religieuse en interdisant au Congrès de faire aucune loi pour établir une religion ou en interdire l’exercice. Les croyances religieuses devenaient ainsi, comme allait plus tard dire Byron, une question qui ne concernait que l’homme et son Créateur. Ce résultat capital était dû en fait à l’énergie d’un homme: Roger Williams. On peut dire qu’il est venu à bout, d’abord par l’exemple de sa petite colonie, puis par celui des Etats-Unis, d’une des plus grandes causes de malheur et de persécution qui aient assombri la vie de l’humanité.

André MAUROIS,
de l’Académie française.

La religion forcée n’est plus religion; il faut persuader et non contraindre. La religion ne se commande point. (LACTANCE)

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