Jésus, les épis de blé et Le sabbat

Un jour[1] de sabbat, Jésus traversait des champs de blé mur. Ses disciples[2] l’accompagnaient et avaient faim[3]. Tout en cheminant, «

chemin faisant»[4], ils se mirent alors « à arracher des épis », à les « froisser »[5]dans leur main, puis à en « manger » les grains.

C’est alors qu’entre en scène « les Pharisiens ». Surgissant de nulle part[6], et au nombre de « quelques-uns », ils semblent faire irruption dans le champ de blé. Ni Mathieu, ni Marc, ni Luc ne nous informe quant au lieu où ils auraient pu se trouver. Néanmoins ils étaient bien là, quelque part, épiant les faits et gestes de Christ et des disciples.

Le blâme qu’il ne tarde pas à formuler au Christ le montre : « Voici que tes disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat »[7].Le reproche, telle une flèche acérée, cible sans doute le Christ, ce prétendu « maître » accomplissant les prétendus « œuvres de Dieu », qui pourtant laisse sans prompte réaction « ses » disciples transgresser la loi du sabbat : « Tes disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat »[8].Néanmoins l’interpellation vise plus directement les « disciples ». Ce sont eux, et non pas leur maître, qui « font ce qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat »[9].

Jésus Transgresse-t-il le sabbat ?

On pourrait croire, de prime abord, que les Pharisiens se souciaient de la propriété d’autrui. N’était-il pas les gardiens estimés de la loi ? Mais Mathieu balayant toute conjecture nous transporte en plein cœur de la controverse. Les compagnons du Christ n’étaient pas accuser de quelque brigandage, « foulant », « violant » la propriété d’autrui ou « dérobant » sans scrupule le fruit du labeur de leur prochain[10]. Qui aurait pu blâmer quelques hommes « Arrachant » et « froissant » quelques épis de blé pour soulager leur faim ? La loi ne déclarait-elle pas : « Si tu entres dans les blés du prochain, tu pourras cueillir des épis avec la main »[11] ? L’interdiction reposait seulement sur le maniement d’instrument de moissonnage : « mais tu ne manieras pas la faucille sur les blés de ton prochain »[12]

Le fait que les disciples « arrachent » et « froissent » dans un champ ne leur appartenant pas quelques épis de blé pour soulager leur faim, auraient passé inaperçu si cela avait eût lieu un autre jour.Mais voilà c’était en plein sabbat qu’ils avaient « arraché » et « froissé » des épis. Ils étaient donc surpris en flagrant délit de transgression du sabbat. Le verdict qui avait été proféré leur était totalement défavorable. Ils étaient accusés de faire « pendant le sabbat » « ce qu’il n’est pas permis de faire »[13]. Le jugement prononcé était sans appel. Les disciples surprit en flagrant délit, le jury pharisaïque avait tranché sur-le-champ. L’accusation prononcée équivalait à une sentence de condamnation[14].

Si les Pharisiens trouvent dans les « simples » actes des disciples des motifs valables d’accusations, et si ces motifs sont à leurs yeux si importants qu’ils jugent nécessaire de formuler leur accusation auprès du Christ ; C’est que pour eux une juste observation du sabbat ou l’on fait « ce qui […] est permis de faire »[15], contrairement aux disciples qui « font ce qu’il n’est pas permis de faire »[16], est d’importance primordiale.

Le blâme que formulaient les Pharisiens à l’encontre des disciples impliquait que les disciples étaient transgresseurs de la loi du sabbat, en désaccord avec la volonté de Dieu et par conséquents coupables, méritant tous les châtiments que la loi promet aux profanateurs du sabbat. A l’opposé ceci impliquait qu’ils étaient, eux, les vrais observateurs du sabbat, accomplissant justement la volonté de Dieu. Il était évident qu’ils ne pouvaient se considérer comme coupable.Néanmoins le blâme formulé était-il fondé sur une référence explicite de la loi de Dieu donnée à Moïse ? Peut-on trouver une référence interdisant, explicitement sinon implicitement, de cueillir, le sabbat, avec la main, quelques épis de blé ?

En réalité le blâme formulé à l’encontre des disciples était fondé bien plus sur « l’interprétation » que les pharisiens s’étaient fait de ce qui constituait une « observance » juste du sabbat, que sur la loi du sabbat elle-même. Ayant défini avec précision les actes permis et interdits ce jour là, ils croyaient posséder la règle infaillible qui leur permettait de juger et de condamner les comportements de ceux qui ne se conformaient pas à l’observance du sabbat qu’ils pensaient être la bonne.

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« En arrachant », « tillontes »[17] les épis de blé, les disciples accomplissaient purement et simplement une sorte de moissonnage. Ceci constituait la première transgression. En outre, les disciples en « froissant », « fwcontes »[18] les épis augmentaient leur coulpe en « battant » le blé « moissonnés ».

Cette interprétation de l’observance du sabbat, ses règles qu’ils avaient battis et qui indiquaient ce qui constituait une juste observation du sabbat, les disciples les avaient enfreint.

En outre tout juif savait qu’il devait préparer son repas du sabbat depuis le vendredi avant le couché du soleil. « Demain est le jour férié, le saint jour », avait déclaré Moïse, « le saint sabbat de l’Eternel ; faites cuire ce que vous avez à faire cuire, faites bouillir ce que vous avez à faire bouillir ». Une chose est certaine c’est que ce sabbat là, les disciples ne disposaient pas, dans les champs de blés, du repas qu’ils devaient normalement avoir déjà préparé[19]. Cela donnait aux Pharisiens, gardiens rigides des règles, l’occasion de formuler leur blâme.Dans le récit de la guérison, de l’infirme de béthesda[20], Jésus, « personnellement » accusé, s’était aussi « personnellement » défendu : « mon Père jusqu’à présent, est à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre »[21] avait-il déclaré. De la sorte il fondait sa défense sur sa filialité divine.

Mais dans ce cas particulier se sont ses disciples qui sont accusés de faire « ce qu’il n’est pas permis de faire pendant le sabbat »[22]. Fondant sa réponse sur deux exemples tirés de l’Ancien Testament où sont relatés des actes accomplis, le jour du sabbat, par des hommes qui se trouvent au service de Dieu, et démontrant ainsi l’inconséquence de l’accusation, il les innocentera.Les Pharisiens se considéraient comme les élites intellectuelles et spirituelles de la nation juive. Le fait que Christ, pour innocenter ses disciples, formule sa réponse de telle façon, que leur oublie, leur ignorance ou plus simplement leur manque de pénétration de ce récit de la Torah, apparaisse au grand jour, impliquait un reproche irritant

David et les pains de proposition

« N’avez-vous pas lu ceci », déclarait-il, « ce que fit David lorsqu’il eut faim, lui et ceux qui étaient avec lui ; comment il entra dans la maison de Dieu, et ayant prit les pains de présentation, en mangea et en donna à ceux qui étaient avec lui : Ceux qu’il n’est pas permis[23] de manger, sinon les prêtres seuls ? »[24] « L’Eternel [parlant] à Moïse »[25] avait déclaré à propos des pains « placés devant l’Eternel »[26] : « Ils appartiendront à Aaron et à ses fils, ils les mangeront dans un lieu saint, car se sera pour eux une offrande très sainte parmi celles qui sont consumées par le feu devant l’Eternel. c’est une prescription perpétuelle »[27] David, pour apaiser sa faim et celle de « ceux qui étaient avec lui »[28], avait donc enfreint une prescription explicite donné par « L’Eternel » lui-même et transmis par Moise[29]. Ils avaient mangé des pains que seul pouvaient manger les lévites « Aaron et à ses fils ».

Si le Christ, choisissant ce récit, y voit une aide précieuse pour innocenter ses disciples de l’accusation pharisaïque, c’est que, probablement, les nombreuses leçons dont les applications peuvent être adaptées à sa situation et à celle de ses disciples, seraient bien décodés par les Pharisiens. Aussi dans sa réponse, qu’il formule en une phrase interrogative, il établit implicitement une comparaison rapprochant sa situation et celle de ses disciples de celle de David et de ses compagnons :

· En effet, toutes deux mettent en scène des hommes qui sont dans une situation de besoin : David et ceux qui étaient avec lui ont faim ; les disciples de Jésus ont également faim.

· Dans les deux situations une chose sainte est utilisée pour satisfaire un besoin humain : David et ceux qui étaient avec lui, les pains consacrés ; Jésus et ses disciples les heures saintes du sabbat.

· Toutes deux font allusion à des hommes qui apaisent, de façon exceptionnelle et illégale, leur faim : aucun autre récit ne nous montre David et ceux qui étaient avec lui mangeant les pains de proposition ; de même qu’aucun autre récit ne nous montre Jésus et ses disciples arrachant des épis de blé durant les heures saintes du sabbat.

· Dans les deux situations des hommes transgressent une loi ou une prescription : David et ceux qui étaient avec lui, une prescription divine ; Jésus et ses disciples une prescription autant divine que rabbinique.

· Finalement les deux scènes mettent en scène des hommes qui apaisent, de façon exceptionnelle et illégale, leur faim : un jour de sabbat[30].

En outre, dans ce récit, le sacrificateur Ahimélek[31], comprenant la situation de David, consent sans difficulté à lui donner les pains de proposition. « Je n’ai pas de pain ordinaire sous la main, mais il y a du pain consacré, si du moins tes jeunes gens se sont abstenus de femmes ! »[32], déclara-t-il simplement. Ce que confirma David. « Alors le sacrificateur lui donna du pain consacré, car il n’y avait là d’autre (pain) que du pain de proposition »[33].

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Le récit en précisant : « car il n’y avait là d’autre (pain) » souligne bien qu’il s’agit d’un acte au caractère exceptionnel. Cependant bien qu’enfreignant une prescription divine cet acte était légitime car il assouvissait la faim d’hommes qui se trouvaient dans le besoin. S’il était loisible à David, dans une situation de besoin, d’apaiser de façon exceptionnelle et illégale sa faim, transgressant ainsi une prescription divine, en mangeant, un jour de sabbat, des pains mis à part pour un « usage sacré », il devait être permis aux disciples, dans une situation de besoin, d’apaiser de façon exceptionnelle et illégale leur faim, transgressant ainsi une prescription autant divine que rabbinique, en arrachant des épis pendant les « heures sacrées du sabbat ».

Le Christ soulignant l’illégalité de l’acte de David, n’excuse donc pas l’entorse fait au précepte. Il ne tente d’ailleurs pas « de répondre aux Pharisiens en disant que le geste des disciples n’est pas un travail ; il admet que la loi a été enfreinte, mais insiste sur le fait que certaines circonstances peuvent rendre légitime une infraction à la loi du sabbat. Des travaux nécessaires enfreignent la loi mais n’induisent ni faute ni culpabilité »[34].

Jésus plus grand que le temple

Comme l’écrit M.J. LAGRANGE « l’exemple de David était très heureusement choisi, et les scribes n’auraient pas osé dire que le saint roi avait eut tord. […]. Mais une dérogation exceptionnelle à une loi résolvait-elle la question du sabbat ? »[35] Le Christ, visiblement ne se contenta pas, dans son argumentation, de fixer ce premier jalon. Comme dans une sorte d’ascension progressive il plante toujours plus haut piton après piton. Son raisonnement reposait sur bien plus que sur la dérogation exceptionnelle à une loi.

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Enchaînant son argumentation par la conjonction « ou » (h) il délaisse « David et ceux qui étaient avec lui » dans quelque recoin de la pensée de ses accusateurs, pour fixer leur attention en plein cœur de l’orgueil nationale juif : Le temple de Jérusalem avec son prestigieux cérémoniel.« N’avez-vous pas lu dans la loi que les sabbats les prêtres dans le temple profanent le sabbat et ne sont pas coupables »[36] écrit Mathieu[37]. Le rituel du prestigieux temple juif s’effectuait semaine après semaine, année après année. Il était évident que « les prêtres dans le temple profanait le sabbat ». Tout le monde pouvait s’en apercevoir. Cependant, si le Christ fait allusion au temple c’est en référence à la loi : « N’avez-vous pas lu dans la loi ».

Les Pharisiens, qui accusaient le Christ et ses disciples, avaient lu dans « la loi » que Dieu ordonnait que « tout ouvrage »[38] soit fait durant les « six jours »[39], car le sabbat « aucun ouvrage »[40] ne devait être fait. Nul, ni Jésus ne le contestait. Mais les Pharisiens, qui accusaient le Christ et ses disciples, devaient aussi avoir « lu » dans « la loi » que c’était aussi Dieu qui avait ordonné que les activités du temple soient maintenues le sabbat. Ce jour là, les activités du temple n’étaient pas suspendues pour permettre aux prêtres de se reposer durant le jour du sabbat. Bien au contraire. L’activité requise le sabbat pour faire fonctionner les divers services du temple était doublé[41].

Les Pharisiens accusaient les disciples « de faire ce qu’il n’est pas permit de faire lors d’un sabbat (en sabbatw). Or « les sabbats (tois sabbasin) »[42], souligne le Christ, s’appuyant sur « la loi », les prêtres pour obéir à « la loi » « profanent le sabbat (to sabbaton) ».

Cependant, le Christ précise que malgré leur importante activité « les sabbats (tois sabbasin) »[43], et bien qu’à cause d’elle les prêtres « profanent le sabbat (to sabbaton) » ils ne sont pas pour autant « coupable ».

Comment expliquer que les prêtres puissent profaner le sabbat tout en n’étant pas coupable de la loi du sabbat ? La clé de ce dilemme est sans doute dans le verset suivant : « Or je vous dis qu’il y a ici un plus grand que le temple »[44].

Si sans conteste le temple revêt une certaine « grandeur » aux yeux du Christ[45], quelqu’un d’autre cependant possède une grandeur qui lui est supérieure. Bien que sa beauté n’égala pas le riche temple de Salomon, le temple d’Israël à l’époque du Christ était véritablement magnifique, une merveille. À peine achevé par Hérode, ses pierres de marbre étaient d’une blancheur immaculée. Le temple faisait à tel point la gloire de la nation que toute parole prononcée contre lui paraissait un blasphème.

Or dans un magistrale et mystérieux « legw de umin »[46] (Or je dis à vous) qu’il lance solennellement aux Pharisiens, il informe, affirme, que ce personnage encore « plus grand » que ce centre national hautement vénéré, est présent parmi eux, « ici » et maintenant. Mathieu ne donne, hélas, aucune information quant à la réaction des Pharisiens. Ce personnage, on le sait, ne peut être que le Christ. Le temple de Jérusalem ne faisait que le préfigurer, lui, le véritable temple[47].

La « grandeur » du temple dont parle le Christ, serait-elle uniquement une gloire extérieure ? Jésus ne donne dans ce récit aucune véritable indication nous encourageant à interpréter de la sorte la « grandeur » du temple. Si l’on doit définir en quoi le temple est « grand », ce n’est qu’en référence au Christ qui est « plus grand que le temple ». Car l’intention du Christ n’est pas de flatter le symbole de l’orgueil national. Il veut avant tout innocenter ses disciples en insistant sur la présence de « celui qui est plus grand que le temple ». La définition de la grandeur du temple doit être en rapport à sa grandeur à lui. Il s’agit donc d’une grandeur qui dépasse la simple gloire extérieure, car au moment ou le Christ affirme que celui qui est plus grand que le temple se trouve « ici », son humble apparence n’encourageait certainement pas les Pharisiens à le considérer comme « plus grand que le temple ».

Le temple, véritable centre religieux de la nation juive, était le lieu ou se déroulait en permanence l’imposant rituel qui annonçait le pouvoir rédempteur du Christ. C’était la gloire du puissant sauveur qu’il annonçait, qui, se reflétant dans ses symboles et dans son prestigieux cérémoniel, faisait sa grandeur. Le temple et tous ces rites n’avait d’autre but que le Christ « celui qui est plus grand que le temple ».

Or, si « les sabbats » les prêtres peuvent « profaner » « le sabbat » par une importante activité sans pour autant être « coupable », c’est parce qu’ils accomplissent ce jour là, les rites qui annoncent le pouvoir rédempteur du Christ.

Si les prêtres, en accomplissant dans le temple les rites annonçant le pouvoir rédempteur du Christ, peuvent profaner le sabbat sans pour autant être coupable, comment pourrait-on alors condamner les disciples directement au service de « celui » que le temple annonce et « qui est plus grand que [lui] » ? Les disciples, accomplissant l’ouvre du Christ, se trouvaient au service de Dieu, ainsi tout ce qui était nécessaire à l’accomplissement de cette œuvre, ils pouvaient le faire légalement le jour du sabbat.

Dieu veut la miséricorde, non le sacrifice

A ce point de notre récit, par deux fois déjà le Christ a tenté d’innocenter ses disciples de leur accusation de transgression, car c’est de cela qu’il s’agit. Fixant, dans chaque cas, l’attention des pharisiens vers des points précis de la loi, il justifiait ses disciples en mettant en relief la similarité de leur conduite d’avec celle d’hommes de Dieu : David, dans un moment de besoin et les prêtres, dans leur activité prenante. Ce faisant, il fondait son argumentation exclusivement sur l’autorité de la Thora. Privilégiant comme type de réponse la contre – question, il introduisait son argumentation par la même tournure interrogative : « N’avez-vous pas lu » ?

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Jusqu’à ce point du récit Jésus n’a fait, à strictement parlé, que défendre ses disciples. L’on n’a pu discerner aucune attaque verbale à l’encontre directe des Pharisiens, de leur interprétation de la loi du sabbat, de leur tradition concernant le sabbat ou de leur manière d’observer ce jour. Mais la réprimande qui suit change quelque peu l’orientation de la controverse : « Si vous aviez connu ce que signifie « je veux la miséricorde et non les sacrifices », vous n’auriez pas condamné les non-coupables »[48]. De défenseur et d’avocat il se fait magistrat et juge

L’unique réprimande que formule Jésus dans tout ce récit s’adresse directement aux Pharisiens, « vous ». Ils n’ont pas « connu » quelque chose d’essentiel qui auraient changé la tournure des événements. Et Jésus n’hésite pas à le leur dire ouvertement. S’ils l’avaient « connu » la controverse aurait été sans objet. Ils auraient reconnu que les disciples étaient « non-coupables » et ils ne les auraient « pas condamné », le Christ en est certain. Mais hélas, au « regret » du Christ, les pharisiens n’en sont pas à ce stade ; Et c’est là véritablement que se situe leur drame. La tournure conditionnelle « Si vous aviez » que le Christ utilise, laisse percevoir en filigrane un soupçon de soupir et de déception.

Selon ce reproche du Christ, véritable diagnostique, le problème des Pharisiens se situe dans leur compréhension et leur conception de ce que Dieu « [veut] ». Il pensait satisfaire à sa volonté et à son commandement par le zèle qu’il mettait à observer les règles qu’ils s’étaient forgées concernant le sabbat. Le Christ leur montrera par le biais de la parole de Dieu annoncée par le prophète Osée, qu’ils se sont en fait méprît concernant ce que Dieu « [veut] » en réalité. Ce que « [veut] » véritablement Dieu de ses adorateurs, leur révélera-t-il, c’est « la loyauté, la miséricorde, la bienveillance »[49]. Les rites « [sacrificiels] », en si grand nombre qu’ils pouvaient être, ne pouvaient les remplacer.

Dans le temps d’Osée, accomplis d’une manière mécanique, « les sacrifices » étaient devenus une fin en eux-mêmes, au lieu d’être le moyen qui conduisait au Christ et ainsi mettait en harmonie avec Dieu. Dieu chargea le prophète d’annoncer qu’un simple cycle de cérémonie, privée d’un service d’amour, ne pouvait que l’offenser.

Le Christ renouvela l’enseignement qu’avait déjà vivement proclamé le prophète à ces contemporains. Cependant, à l’occasion de cette controverse, il l’appliqua habilement à la loi du sabbat. De même que les contemporains d’Osée qui s’étaient trompés concernant la véritable signification des sacrifices, les Pharisiens s’étaient mépris concernant ce que Dieu « [voulait] » du sabbat. De « bénit », « sanctifié », ce jour en était venu à être un fardeau insupportable, dont les nombreux règlements absorbaient les esprits par des rites fastidieux. L’adoration, introduisant l’homme dans la communion divine, à laquelle invitait ce jour, devenait impossible. Comme le leur révèle le Christ, les Pharisiens n’ont pas « connu » ce que Dieu « [veut] » concernant le sabbat. S’ils l’avaient « connu », en accord avec le Christ, ils auraient compris que les disciples étaient « non-coupables ».

De la sorte, Jésus innocente ces disciples de l’accusation pharisaïque. Loin d’être les profanateurs du sabbat, ils en sont les vrais observateurs. Le Christ, prononçant son verdict, les déclare formellement « non-coupables ». Comme nous le rapporte Marc[50], le Christ, non content de défendre ses disciples et de dévoiler aux Pharisiens leurs lacune, n’hésite pas à restituer au sabbat sa valeur humanitaire méconnue d’eux.

L’interprétation pharisaïque de ce jour tendait à en faire un jour de malédiction et de souffrance pour « l’homme ». Les Pharisiens, selon les propos qu’ils expriment, montre bien qu’ils auraient préféré voir les disciples souffrir, tenaillés par la faim, plutôt que de « froisser » et « manger » quelques épis de blé. C’est aux yeux du Christ déformer et pervertir la valeur humanitaire de ce jour. C’est faire « l’humain à cause du sabbat ».

« Le sabbat est à cause de l’humain », déclare-t-il, « et non pas l’humain à cause du sabbat ». Le sabbat, venu à l’existence après la création de l’homme, est le cadeau que Dieu aussitôt lui offre : un temps « bénit » et « mis à part » en vue de son épanouissement et de son bonheur.

De maître permissif, blâmé au travers de ses disciples profanateurs, Jésus s‘identifiera à David. Ensuite, comme dans un vibrant crescendo, de David, transgressant une prescription divine dans un moment de besoin, il se présentera comme supérieur au prestigieux temple de Jérusalem. Maintenant, dans la note finale d’une majestueuse symphonie, il s’attribuera le glorieux titre de « Seigneur » : « En effet Seigneur du sabbat est le fils de l’homme »[51]

Cette déclaration conclue glorieusement l’argumentation du Christ. Liée aux affirmations précédentes par la conjonction « en effet », elle présente le Christ comme étant « Seigneur du sabbat ». Et s’il est « Seigneur du sabbat », il est donc maître « du sabbat ». Il en dispose comme bon lui semble. Mieux que quiconque, il en connaît la juste observance S’il est « Seigneur du sabbat », il est aussi celui qui est au-dessus de toute discussion et de toute loi. c’est en tant que « fils de l’homme » qu’il se présente comme « Seigneur du sabbat »

[1]

L’Evangéliste Mathieu écrivant cette scène de controverse la situe chronologiquement de façon plus exacte que Marc et Luc. La référence au temps « en ekeinw » (en ce temps là) en témoigne. Bien qu’il insère son récit dans un contexte plus exacte que Marc et Luc, les informations permettant de situer précisément le déroulement de cette scène dans le ministère du Christ sont rare.

[2]

le nombre des disciples n’est pas préciser.

[3]

Comment expliquer le fait que les disciples aient faim ? avaient – t – ils jeûné auparavant ? rien dans le texte ne nous permet de le supposer. Mais une chose est certaine : s’ils ont faim, c’est que cela fait déjà un certains temps qu’ils n’ont pas mangés, plusieurs heures sans doute.

Nous sommes par ailleurs toujours dans le sabbat, jour traditionnellement réservé au culte. Les juifs se retrouvaient dans la synagogue écoutant la lecture et les commentaires de la thora. C’était aussi « la coutume » du Christ de s’y rendre « le jour du sabbat » (Lc 4.16).

Nous pouvons donc supposer qu’après avoir passer la matinée à participer au culte synagoguale, Jésus et ses disciples traversent « des champs de blé ». On pourrait comprendre alors que la « faim » des disciples soient suffisamment pressante pour qu’ils cueillent immédiatement tout en marchant, les épis de blé qui les soulageront, en attendant qu’ils puissent arriver au lieu de leur destination.

[4]

Marc 23.1.

[5]

Luc 6.1.

[6]

Jusque ce point du récit Mathieu n’avait fait d’eux aucune allusion. Il en va de même pour Marc et Luc.

[7]

Mathieu 12.2b.

[8]

Mathieu 12.2b. C’est nous O.P. qui soulignons.

[9]

Mathieu 12.2b. C’est nous O.P. qui soulignons.

[10]

Aucune allusion dans le texte ne nous encourage à supposer que les champs pourrait appartenir à l’un des disciples.

[11]

Deutéronome 23.26.

[12]

Deutéronome 23.26.

[13]

Mathieu 12.2b.

[14]

Le champ lexical dont fera usage Jésus et les Pharisiens est exactement celui du jugement : Les disciples « violant » la « loi » du sabbat sont « accusés » de « profanation ». Jésus, leur « avocat » « défend » leur cause. Finalement par sa pénétration et sa réinterprétation de la « loi » il renverse le jugement et absous les « condamnés », les déclarants « anaitious » (non-coupable).

[15]

« O exestin […] poien ». Mathieu 12.2b.

[16]

« O ouk exestin poien ». Idem,

[17]

Marc 2.23.

[18]

Luc 6.1.

[19]

Les disciples pour une raison ou pour une autre n’avait-il donc pas préparé dès la veille, en pieux observateur de la loi, le repas du sabbat ? Mais il se peut aussi que les disciples aient effectivement préparé leur repas comme le veut la loi, et que prit par quelques obligations au temple il n’ait pas eut le temps d’apaiser leur faim. Cependant, il n’y a là que pure conjecture. Le récit ne donne aucune indication à ce sujet.

[20]

Jean 5.1-18.

[21]

Jean 5.17. c’est nous, O.P., qui soulignons.

[22]

Mathieu 12.2b

[23]

Jésus n’ignore pas que la controverse qui l’oppose aux Pharisiens tourne autour de [23] « O exestin […] poien » et « O ouk exestin poien » le jour du sabbat. Il reprend exactement les mots employés par les Pharisiens dans leur accusation : « ouk exestin ». ce qui donne à sa contre question une pertinence saisissante.

[24]

Luc 6.3,4.

[25]

Lévitique 24.1.

[26]

Lévitique 24.8.

[27]

Lévitique 24.9. C’est nous, O.P., qui soulignons.

[28]

Luc 6.3.

[29]

Lévitique 24.1,5-9.

[30]

Selon les recommandations de Dieu transmis par Moïse, les pains frais de « deux dixièmes chacun » (Lévitique 24.5), soit environ 7,2l, étaient « arrangés » (Lévitique 24.8) et placés « en deux rangées, six par rangée, sur la table d’or pur devant l’Eternel », (Lévitique 24.8). Notons que ces pains n’étaient remplacés et arrangés sur la table qu’au « jour de sabbat » (Lévitique 24.8). Même du temps de « David et de Samuel le voyant » (1 Chroniques 9.22), des lévites, au nombre de 212, étaient encore établis, par eux, aux responsabilités diverses du temple (1 Chroniques 9.14-34). Parmi eux, « quelques-uns uns de leurs frères, parmi les Qehatites, avaient la surveillance des rangées de pains ; ils les préparaient chaque sabbat ».

Les pains frais, au nombre de douze, avaient par conséquent un cycle de vie de 7 jours même au temps de David. Au bout des 7 jours, le sabbat suivant, étant rassis, ils étaient remplacés.

Nous pouvons donc dire que le sabbat les sacrificateurs avaient affaire à 24 pains : les 12 rassis des 7 jours précédents et les 12 pains frais des 7 jours à venir.

Lévitique 24.9 précise que les pains seront mangés par « Aaron et ses fils ». Quels étaient donc les pains qui étaient mangés, les frais ou les rassis ?

Il ne pourrait s’agir des pains frais car ils n’étaient pas destinés à nourrir dans l’immédiat Aaron et ses fils, mais à être posés « en permanence » (Exode 25.30) devant la « face » de l’Eternel pour une durée de 7 jours, c’est à dire, jusqu’au sabbat suivant.

Le sabbat, les 12 pains frais étant posés sur la table de proposition, pour 7 jours, c’est donc les 12 pains posés le sabbat précédant, au bout de leurs 7 jours et rassis, qui, appartenant à « Aaron et ses fils » étaient mangés « chaque jour de sabbat » « dans un lieu saint ». (Lévitique 24.8,9).

Or, ce jour ou David se présente devant le sacrificateur Ahimélek, nous pensons qu’il s’agit d’un sabbat. Ce jour là « il n’y avait là que du pain de proposition, qu’on retire de devant l’Eternel pour le remplacer par du pain chaud » (1 Samuel 21.7). Les sacrificateurs n’ayant pas encore mangés tous les pains, peut-être aussi qu’ils n’en avaient pas encore mangé. (Ceci est pour nous d’importance secondaire). Quoi qu’il en soit il s’en trouve encore, et suffisamment pour que David en prenne pour lui et ses compagnons. Il est donc très vraisemblable de supposer que se fut un jour de sabbat que David se présenta au sacrificateur Ahimélek, ce qui renforcerait encore davantage la pertinence de l’argumentation du Christ.

[31]

Marc donnant quelques informations de plus que Mathieu et Luc, dit que David « entra dans la maison de Dieu du temps d’Abiathar le grand-prêtre » (Marc 2.26). Le livre de Samuel indique que c’est Ahimélek qui était sacrificateur (1 Samuel 21.2-10) tandis qu’Abiathar était l’un de ses fils (1 Samuel 22.20). Que comprendre ?

[32]

1 Samuel 21.5.

[33]

1 Samuel 21.7.

[34]

C.R. ERDMAN, the gospel of Mark, 1945, p.55.

[35]

M.J. LAGRANGE, Evangile selon SAINT Mathieu, Chapitre XII, 1941, p.232.

[36]

Mathieu 12.5.

[37]

Nombres Luc, ni Marc ne donne cet argument.

[38]

Exode 20.9.

[39]

Idem,

[40]

Exode 20.10. C’est nous, O.P., qui soulignons.

[41]

Chaque matin et chaque jour « entre les deux soirs » un agneau et « un dixième d’épha de fleur de farine pétrie dans un quart de hin d’huile d’olives concassées, et une libation d’un quart de hin de vin » (Exode 29.39-41) était offert, par les prêtres en service, dans le parvis sur l’autel des holocaustes comme Dieu l’avait ordonné (Exode 29.42) Le sabbat ne faisait pas exception à cette règle.

Dans la première pièce du tabernacle, le « lieu saint », sur l’autel des parfums, « Aaron » devait faire brûler « chaque matin » du parfum odoriférant. Il devait en faire « brûler aussi entre les deux soirs lorsqu’il [arrangerait] les lampes » ( Exode 30.7,8). « C’est ainsi », avait dit l’Eternel, « que l’on brûlera à perpétuité du parfum devant [lui] » (Exode 30.8).

En outre, d’autres activités spécifiques au sabbat étaient surajouter à tout ce rituel quotidien, et venait augmenter le travail effectuer par les prêtres le jour du sabbat : Selon les recommandations de Dieu transmis par Moïse, les pains frais de « deux dixièmes chacun » (Lévitique 24.5, soit environ 7,2l.), devaient être « arrangés » (Lévitique 24.8) et placés « en deux rangées, six par rangée, sur la table d’or pur devant l’Eternel » (Lévitique 24.8). Ces pains n’étaient remplacés et arrangés sur la table qu’au « jour de sabbat » ( Lévitique 24.8). L’on voit encore du temps de « David et de Samuel le voyant » (1 Chroniques 9.22), des lévites « parmi les Qehatites », qui « avaient la surveillance des rangées de pains ; ils les préparaient chaque sabbat » (1 Chroniques 9.14-34).

« Le jour du sabbat » (Nombres 28.9. C’est nous, O.P., qui soulignons), en plus de « l’holocauste perpétuel et la libation » (Nombres 28.10), les prêtres devaient offrir « deux agneaux d’un an sans défaut, et pour l’offrande deux dixièmes de fleur de farine pétrie à l’huile avec la libation ».

[42]

« sabbat » est au pluriel.

[43]

« sabbat » est au pluriel.

[44]

Mathieu 12.6.

[45]

Affirmer à partir de cette déclaration que le temple serait sans grandeur serait évidement contraire à l’intention du Christ. Celui-ci ne dit pas que le temple n’a aucune grandeur. Il dit simplement qu’il y a « ici un plus grand que le temple ». Cette déclaration implique de ce fait que le temple revêt une certaine grandeur, même si celle ci est moindre que celle de la personne dont il parle.

[46]

Mathieu 12.6.

[47]

Le Christ était « la parole [qui] devint chair et [qui] dressa sa tente parmi nous, et nous contemplâmes sa gloire » (Jean 1.14. C’est nous qui soulignons). selon le témoignage de Jean, nous savons que le Christ se considéra lui-même comme tel, même s’il n’était pas toujours comprit. « Détruisez ce temple-ci », disait-il, « et en trois jours je le relèverai. […]. Celui-là parlait du temple de son corps ». (Jean 2.19,21. . C’est nous qui soulignons). Il était le fondement et la vie du temple. Tout le plan des services préfigurait son sacrifice pour le rachat du monde. Ceux-ci perdraient toute valeur lorsque le véritable « agneau qui ôte les péchés du monde » (Jean 1.29. C’est nous qui soulignons) aurait été sacrifié.

[48]

Mathieu 12.7.

[49]

Autant de mots traduisant la même expression.

[50]

Telle est, en effet, le témoignage de Marc, (Marc 2.27). Ni Mathieu et Luc ne font allusion à cette autre parole de Jésus en référence à cette controverse. Marc la situe, dans l’argumentation du Christ, sitôt après l’expérience de David

[51]

Mathieu 12.8.

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